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A partir du 1er août, la Terre vit à crédit : à quoi correspond cette date ?

Le jeudi 1er août 2024 est le « jour du dépassement » écologique, selon le Global Footprint Network, un institut de recherche international établi en Californie. A partir de cette date, c’est-à-dire en sept mois seulement, l’humanité a consommé plus de ressources naturelles et émis plus de gaz à effet de serre que la Terre n’est en capacité d’en produire ou d’en absorber au cours d’une année.
A ce rythme, il faudrait 1,7 planète pour subvenir aux besoins des humains. Or nous n’en avons pour l’instant qu’une seule à disposition, alertent les médias et les ONG environnementales qui relaient cet indicateur, plaidant pour un mode de vie plus soutenable.
Pour mesurer la pression de l’activité humaine sur un territoire, il suffit de comparer deux notions :
Le Global Footprint Network réalise ces calculs, mesurés en « hectares globaux », pour chaque pays, à partir d’un grand nombre de données, comme les terres cultivées ou en forêt, la consommation d’énergie, provenant notamment d’agences des Nations unies (GIEC, AIE…) qui sont actualisées chaque année, comme le précise leur méthodologie.
La biocapacité de la Terre était estimée à 12 milliards d’hectares globaux, alors que les humains utilisent l’équivalent de 20 milliards d’hectares par an, soit 1,7 fois plus.
Pour rendre ce chiffre encore plus accessible, les ONG l’ont converti en « dette » annuelle : les humains consomment les ressources renouvelables de la Terre en sept mois, et vivent théoriquement « à crédit » le reste de l’année. Un calcul qui rappelle d’autres dates symboliques à la méthode discutable : le jour de libération fiscale ou le moment où les femmes devraient cesser de travailler.
Obtenir un chiffre parlant pour l’opinion publique nécessite bien souvent de faire des « raccourcis ». En 2010, Leo Hickman, journaliste spécialiste de l’environnement, déplorait dans le Guardian, que cet indicateur agrège « des pommes et des poires », en additionnant des données de nature aussi différente que les émissions de gaz à effet de serre, les récoltes de maïs ou la perte de la forêt primaire. Il note aussi que la méthodologie est affinée chaque année, ce qui fait fluctuer la date fatidique et fragilise les comparaisons. En effet, lorsque nous avions publié un article à ce sujet en 2015, le dépassement survenait le 13 août. Or les dernières données publiées en 2024 fixent désormais le dépassement au 7 août 2015, soit une semaine plus tôt.
La notion d’« hectares globaux » est aussi une mesure difficile à appréhender pour le grand public : en effet, un hectare de céréales n’a pas le même rendement en France et au Maghreb, et une forêt scandinave ressemble peu à une forêt tropicale. Il s’agit en fait d’opérer une moyenne, comme le PIB, destinée à faciliter les comparaisons internationales : « Il faut imaginer cela comme un système comptable », expliquait le consultant en environnement Aurélien Boutaud à Libération en 2017.
Autre subtilité : certains pays ont une biocapacité supérieure aux autres et sont donc des « réservoirs » écologiques. Ainsi, les Brésiliens ont-ils la même empreinte écologique que les Macédoniens, mais leur biocapacité est cinq fois plus élevée en raison de la forêt amazonienne. Chaque Français consomme 3,3 fois ce que la Terre peut lui fournir pour subvenir à ses besoins, mais seulement 1,9 fois la capacité du territoire français, notamment grâce à la richesse écologique de la Guyane.
Un calcul plutôt sous-estimé
Si certains indicateurs sont bien réels (le nombre d’arbres coupés pour produire du bois ou la production de céréales), l’essentiel de la dette est constitué des émissions de carbone que la nature ne parvient pas à absorber. En France, elle représentait 60 % de l’empreinte totale. Certains analystes estiment donc qu’il serait plus pertinent de se concentrer sur ce seul indicateur.
Inversement, d’autres indicateurs écologiques ne sont pas pris en compte : l’épuisement des ressources non renouvelables (charbon, pétrole, uranium), l’érosion de la biodiversité, la pollution de l’eau, de l’air ou du sol… Or, la dégradation du milieu naturel, difficile à traduire en un seul chiffre, pourrait gonfler encore davantage l’empreinte humaine. « Un calcul plus rigoureux ou plus exhaustif mènerait à un accroissement du déficit constaté… et donc à une “célébration” plus précoce du Jour du dépassement », résumaient les chercheurs Aurélien Boutaud et Natacha Gondran sur le site The Conversation en 2018.
Ce chiffre permet de visualiser l’évolution du problème : le ratio calculé rétroactivement depuis le début des années 1970 (avec les limites mentionnées plus haut) montre que le jour de dépassement survient globalement de plus en plus tôt dans l’année, même si la date semble se stabiliser récemment. Il met aussi en lumière le lien avec l’activité économique, avec un léger fléchissement lié à la crise de 2009, et une baisse visible en 2020, année des confinements liés à la crise du Covid. Toutefois, Global Footprint Network appelle à ne pas oublier que cette « dette » écologique se cumule d’année en année.
Les données autorisent aussi des comparaisons géographiques intéressantes, qui rappellent que, au-delà du nombre d’habitants sur terre, l’épuisement des ressources est surtout lié à leur mode de vie : un habitant du Qatar aura consommé l’équivalent d’une année de ressources dès le 11 février et un Français le 7 mai. En revanche, le Maroc, la Guinée ou la Moldavie sont quasiment à l’équilibre, avec un « dépassement » seulement à la fin décembre.
Pour les ONG environnementales, le chiffre de la dette écologique a d’abord une vertu pédagogique. « Cette étude utilise des données qui sont généralement analysées séparément (émissions de gaz à effet de serre et impacts de nos comportements sur la biodiversité), explique ainsi Matthieu Jousset, de la fondation GoodPlanet. Son intérêt est d’adopter une approche globale qui permette au grand public de se familiariser avec un budget écologique qu’il ne peut dépasser », et de mieux « incarner l’enjeu climatique ». Elle s’accompagne d’ailleurs d’un appel à l’action intitulé #movethedate (« repousse la date ») qui propose des solutions pour réduire l’empreinte écologique. Selon leurs calculs, instaurer une taxe carbone de 100 dollars la tonne serait la mesure la plus efficace : elle ferait gagner 63 jours avant le « dépassement ». La maîtrise de la fécondité déplacerait la date de 49 jours et le développement des énergies renouvelables 26 jours.
Cet article, initialement publié en 2018, a été remis à jour le 1er août 2024 avec les dernières données disponibles.
Anne-Aël Durand
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